La Dysplasie Coxo-Fémorale: Une Maladie Héréditaire?

Lors du congrès national de l’AFVAC en 2013 (l’Association Française des Vétérinaires pour Animaux de Compagnie), le Professeur GENEVOIS est intervenu le 28/11/2013 lors des rencontres vétérinaires / éleveurs.

Vous trouverez ci-dessous le résumé de son intervention.

INTRODUCTION.

Parmi les nombreuses idées fausses qui ont trait à la dysplasie de la hanche, la plus fréquente est celle qui affirme que « la génétique n’est responsable que pour partie de la dysplasie de la hanche », ou qu’« il existe des dysplasies d’origine génétique et des dysplasies d’origine non génétique ».

Si on fait l’exception des cas où l’animal « n’est pas dysplasique mais a été un peu écrasé par sa mère lorsqu’il était nouveau-né » ou « a roulé dans l’escalier quand il était tout petit », l’erreur la plus répandue résulte d’une mauvaise interprétation des chiffres correspondant à l’héritabilité de l’affection.

Pour beaucoup d’éleveurs, dire que l’héritabilité de la dysplasie coxo-fémorale est voisine de 40% signifie que « dans 40% des cas la dysplasie est d’origine génétique, et dans 60% des cas, elle est causée par autre chose ». Parmi ces autres causes de l’affection, on trouve pêle-mêle les erreurs d’alimentation, l’exercice précoce et exagéré, le fait de laisser le chiot se déplacer sur un sol glissant etc… On peut citer, juste pour sourire ( ?) le fait que pour certains (qui tissent de magnifiques démonstration sur internet) l’affection a été créée volontairement par les fabricants d’aliments, où qu’elle peut résulter des procédés de dépistage radiographiques eux-mêmes car on a « trop tiré sur les postérieurs de l’animal »…

Les démonstrations de l’origine génétique et du caractère héréditaire de la dysplasie de la hanche sont pourtant nombreux, et pour beaucoup déjà anciens.

DÉMONSTRATION PAR L’ÉTUDE DU TAUX DE DYSPLASIE LORS DE CROISEMENTS ENTRE SUJET SAINS ET SUJETS DYSPLASIQUES.

Les chiffres publiés varient en fonction des études et des populations étudiées (ce qui est normal  compte tenu du caractère polygénique de l’affection), mais ils vont tous dans le même sens.

On peut citer les travaux de RISER (1964) chez le berger allemand : dans cette étude, le croisement de deux individus sains (au plan phénotypique) donne 57% de descendants sains et 43% de dysplasiques. Le croisement de deux individus dysplasiques produit 93% de chiots dysplasiques. Une femelle dysplasique accouplée à un mâle sain donne naissance à 41% de dysplasiques ; le croisement d’un mâle dysplasique avec une femelle saine produit 31% de dysplasiques.

Toujours chez de bergers allemands, HUTT (1967) observe, lors du croisement de deux parents sains, un taux de 62,5% d’individus normaux contre 37,5% de dysplasiques dans la portée. Deux individus dysplasiques aboutissent à la naissance de 84% d’individus affectés. Lorsque la femelle est dysplasique et le mâle sain, il y a 41,3% de dysplasiques dans la portée. Si c’et le mâle qui est dysplasique et la femelle saine, il obtient 52,8% de dysplasiques.

Ces deux études vont dans le même sens, mais on voit que  la théorie, encore répandue,  donnant « un plus grand rôle à la femelle » dans la transmission de l’affection est déjà infirmée par les travaux de HUT (REED, JAVMA 2000, 217, 675-680, a démontré que la contribution génétique à la transmission de l’affection était identique pour le mâle et pour la femelle). WILLIS (Genetics of the dog, Howell Book House 1989) a récapitulé les nombreux travaux effectués sur le même sujet de  1959 à 1986.

« En gros » (DENIS, Génétique et sélection chez le Chien, PMCAC Ed 2007) l’accouplement de deux sujets sains (non particulièrement sélectionnés) produit 25% de dysplasiques, celui de deux dysplasiques 75% de dysplasiques, si l’un des reproducteurs est dysplasiques, il y a 50% de chiots atteints dans la portée.

DÉMONSTRATION PAR L’ÉPIDÉMIOLOGIE DE L’AFFECTION.

Toutes les études relatives à la prévalence de la dysplasie coxo-fémorale montrent que cette dernière est extrêmement variable en fonction des races : de 0% chez les lévriers à plus de 60% dans certaines races.

Ces chiffres varient légèrement d’un pays à l’autre, ils sont certainement inférieurs à la réalité en raison du « pré-tri » des radiographies, mais le classement des races par ordre d’affectation reste pratiquement le même dans tous les pays.

Lorsqu’un éleveur élève plusieurs races, le taux de l’affection au sein de l’élevage est le plus souvent différent entre les races, et le nombre de sujets atteints au sein de chacune d’entre elle reflète souvent le degré de prévalence de l’affection au sein de la race.

SIGNIFICATION DES CHIFFRES CORRESPONDANTS À L’HÉRITABILITÉ DE L’AFFECTION.

La dysplasie de la hanche est une affection génétique, qui relève de l’hérédité quantitative. Ceci signifie que plusieurs gènes sont « codants » pour l’affection, et que pour exprimer phénotypiquement l’affection, un individu doit en héberger un nombre minimum, qu’on appelle « le seuil ».

Dans le cadre de l’hérédité quantitative, on utilise un terme particulier, qui est celui « d’héritabilité ». L’héritabilité de la dysplasie de la hanche, calculée à partir du classement des individus en fonction du dépistage radiographique, est de 40%. Ceci signifie que, tous les cas de dysplasie étant d’origine génétique, si on s’intéresse aux variations du phénotype chez des individus qui ont un même génotype, 40% des variations de phénotype sont directement en relation avec le génotype, et 60% sont en relation avec d’autres facteurs, qu’on appelle les « facteurs « extérieurs » ou « facteurs d’élevage ».

En d’autres termes, les « conditions d’élevage » sont susceptibles d’influencer (dans un sens ou dans l’autre) l’expression phénotypique des « gènes codants » pour la dysplasie.
Pour prendre un exemple précis, dans les années 1960, RISER a démontré qu’il est possible d’obtenir 100% de hanches « saines » chez des chiots bergers allemands issus de lignées fortement dysplasiques en les maintenant enfermés jusqu’à l’âge de 6-8 mois dans des cages de 1m x 1m. Il est donc possible de « limiter le risque » d’expression phénotypique de la dysplasie coxo-fémorale chez les individus à risque, c’est à dire porteurs d’un patrimoine génétique anormal, en limitant l’exercice inconsidéré et le surpoids des chiots en croissance (Ceci conduit parfois à des conseils excessifs visant à éviter que le chiot saute, monte le moindre escalier, ou ne coure dans le jardin…).

A contrario, on n’a jamais réussi, chez des races non touchées par la dysplasie de la hanche à faire apparaître l’affection en modifiant les conditions d’élevage.

Enfin, comme déjà signalé plus haute, chez des éleveurs qui possèdent des reproducteurs de races différentes, malgré des « conditions d’élevage » similaires, on observe généralement que les taux de dysplasie correspondent assez bien aux prévalences de l’affection observées au sein de chaque race.

RECHERCHES RELATIVES À LA MISE AU POINT D’UN DÉPISTAGE GÉNÉTIQUE DE LA DYSPLASIE DE LA HANCHE.

De nombreuses et coûteuses recherches sont effectuées dans ce domaine, ce qui confirme, s’il était besoin, le caractère génétique lié à l’affection et à sa transmission.

L’origine polygénique n’est pas remis en question, même si certains travaux semblent montrer que certains gènes ont un rôle plus important que d’autres (théorie du « gène majeur » décrite initialement en 2006 chez le berger allemand par DISTL et JANUTTA).

Le but de ces recherches est d’identifier des parties de chromosomes qui contiennent un gène ou un groupe de gènes qui influencent l’expression phénotypique de l’affection. On parle de
« QTL » (quantitative trait loci).

En France, c’est l’équipe « Génétique du Chien », dirigée par Catherine ANDRÉ à l’Institut de Génétique et Développement du CNRS de Rennes, qui est en pointe sur le sujet.

Pour progresser dans ce domaine, l’équipe a besoin de prélèvements sanguins effectués sur des individus de toute race, classés « D » ou « E ». Il est donc possible à tout éleveur, une fois dépassée la légitime déception de voir les hanches de l’un de ses produits mal classé, de participer à cette recherche dont on comprend facilement l’intérêt exceptionnel.